Les ruines enfouies sont repérables par quelques détours archéologiques

2022

Exposition individuelle présentée à Arprim, centre d’essai en art imprimé, situé au Belgo (Montréal) du 4 novembre au 10 décembre 2022.

Récipiendaire du Prix Albert-Dumouchel pour la relève (2015), décerné annuellement par Arprim pour souligner l’excellence en arts imprimés au premier cycle universitaire, Ann Karine Bourdeau Leduc poursuit depuis une pratique installative où s’allient les arts d’impression, les techniques de moulage, le dessin et les objets, construits ou trouvés. Portée par un intérêt pour les qualités formelles des matériaux, elle exploite autant les propriétés réelles de ceux-ci qu’elle les imite dans des simulacres où se développe un jeu du vrai et du faux. 


S’il paraît paresseux de nommer le trompe-l’œil tant cette notion est présente ici, il n’empêche que depuis quelques années, Bourdeau Leduc utilise habilement la capacité reproductrice des arts imprimés et la malléabilité du papier pour reproduire des matériaux de construction, qui semblent d’autant plus réels qu’ils nous apparaissent par fragments. Ainsi morcelés, les multiples petits éléments qu’elle active et parfois, ré-active d’une exposition à l’autre, paraissent être des retailles de chantier et autres rebus – morceaux de terrazzo, palettes de bois, rosettes de plâtre cassées, etc. On les imagine facilement accessibles pour celle qui s’inscrit, à sa manière, dans la lignée d’une famille d’entrepreneurs en construction résidentielle. Mais un regard plus attentif révèle ce que l’artiste ne tente pas expressément de cacher, soit que son intérêt git davantage dans les effets visuels qui découlent de la répétition et de la configuration spatiale de ces motifs, que dans la tentative d’en produire des répliques parfaites. Çà et là se trouvent des objets qui proviennent des formes négatives et positives d’un même moule, qui changent de couleur ou d’orientation, dans des renversements et des assemblages d’où émane une forme de ludisme appuyé par les couleurs vibrantes et l’effet esthétique de l’ensemble.


Les installations récentes de Bourdeau Leduc empruntaient beaucoup au vocabulaire de l’architecture, voire au registre formel de la construction. Ici, il semble qu’elle parle davantage le langage du design, en référant parfois explicitement à des motifs ou des formes connotées – on reconnait la forme du miroir KRABB d’Ikea, ayant eu son moment de gloire au début des années 2000 et (re)devenu culte auprès de la Génération Z. De même façon, certaines couleurs, comme le Millennial Pink et le Gen Z Yellow, populaires à différents moments dans les dernières années, semblent signifier ici une forme d’accélération dans la transformation des goûts et le passage des modes. Les plantes d’intérieurs, bien qu’intemporelles, connaissent aussi une résurgence comme en témoigne leur omniprésence dans le design résidentiel et même, dans les expositions d’art contemporain. Les palettes de bois, les colonnes d’inspirations grecques et autres décorations participent de même d’une forme d’esthétique récente mais déjà révolue, sortes de ruines peut-être soumises à cet examen archéologique auquel le titre réfère...

En parallèle à cette douce critique de notre consommation effrénée, Bourdeau Leduc adopte une posture assumée de recyclage, de réinterprétation et de réutilisation de ses objets et matériaux, non seulement dans la perspective d’en explorer tous les possibles, mais aussi par responsabilité écologique. Les fibres de papier sont broyées et moulées à nouveau, les retailles de post it témoignant du processus de création sont intégrées à ce faux terrazzo, des socles sont transformés et repeints tant qu’ils peuvent l’être, des morceaux d’emballage se mêlent aux œuvres… Sous le mode du chantier, tout est en éternelle transformation et reconfiguration, au gré des différentes présentations du travail d’Ann Karine Bourdeau Leduc.

– Marie-Pier Bocquet, directrice générale et artistique de Arprim

L’artiste et Arprim remercient Idenco Groupe Canva pour leur soutien à la production des œuvres.


Photos : Jean-Michael Seminaro
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